A toi,
J’ai toujours rêvé de t’écrire une lettre… Mille fois j’y ai songé, mille fois j’y ai renoncé. Tu aurais sûrement trouvé indécent que je prolonge notre amour dans des écrits sans fin. Dans ces courriers, j’aurais pu te dire à quel point notre rencontre m’avait bouleversée. J’aurais pu te parler de ce jour où tu m’as accrochée à tes yeux et à ton sourire, et avec quel délice je m’y suis engouffrée. Jamais personne n’avait eu cet effet là sur moi. Avec toi, il avait suffi d’un regard pour que je me consume ; c’était troublant et délicieux.
Comme j’ai aimé me fondre dans cette liaison. J’aimais te regarder vivre, j’aimais ta façon de te déplacer, de rire, de parler, d’évoluer dans la vie. En fait je t’aimais toi et nul autre. Tu n’avais pas besoin de faire d’effort pour me séduire, j’avais été séduite d’emblée, à la seconde où je t’avais vu. Entre nous c’était intense et unique. Il régnait une connivence et une osmose presque palpable tellement notre amour était incrusté dans chaque grain de notre peau. Tu étais si drôle, si envoûtant, si charismatique et si sombre aussi parfois. Mais d’un tour de passe-passe amoureux, je savais toujours te ramener à mes côtés.
Je voulais transformer chaque instant en un moment unique. Je voulais que nous ne soyons pas les autres, mais nous, différents, auréolés d’un bonheur sans limite. Tu donnais à ma vie ce sens que j’avais longtemps cherché. Nous nous aimions d’un amour vrai et sincère. Tes yeux étaient le miroir de mon cœur. Il me semblait que rien ni personne ne pouvaient détruire ce que nous étions… j’étais née pour t’aimer, j’en étais certaine.
Et puis, peu à peu, tu as pris de la distance, tu t’es mis à m’aimer à petites doses. Je souffrais mais ne disais rien. C’était toujours moi qui t’appelais, qui demandais à te voir. Malgré un certain désœuvrement je continuais à me montrer sous mon meilleur jour, cachant mes angoisses. J’étais de plus en plus en manque de toi. Pourquoi réagissais-tu ainsi après des mois de passion ? Le jour où tu m’as annoncé que tu me quittais, j’ai enfin compris ton échappée en pointillée. Ainsi c’était pour me préparer que tu revenais vers moi de temps en temps, à tes heures perdues. Je t’ai supplié de rester, je me suis agrippée à toi. La pitié entraperçue dans ton regard déjà lointain m’a clouée sur place. Je t’ai laissé partir.
J’ai erré des jours entiers perdue dans un monde de noirceur à ressasser les mêmes questions. C’était si douloureux… Jamais je n’aurais cru qu’un chagrin pouvait être aussi violent et faire tant de mal à l’intérieur. Nous allions doucement vers les beaux jours et j’ai repris goût à la vie, à petits pas. J’ai affiché une nouvelle sérénité et je t’ai téléphoné. Tu as semblé heureux de m’entendre. Tu ne sauras jamais comme à cet instant-là mon cœur s’est déchaîné au son de ta voix. Durant notre court entretien, j’ai appuyé ma main très fort sur mon sein par peur que tu n’entendes son battement.
Au bout de longues minutes, tu m’as demandé très gentiment de ne plus t’appeler, qu’entre nous c’était bien fini, même si tu avais apprécié cet échange. Tout a tourné très vite dans ma tête. Je voulais te garder encore un peu pour moi. Je t’ai proposé un dernier rendez-vous. Je t’ai promis qu’après tu n’entendrais plus jamais parler de moi. Tu ne pouvais pas me refuser cette dernière faveur et tu as cédé, un peu surpris tout de même par le lieu que je t’ai indiqué, une vieille usine désaffectée que tu ne connaissais pas. Elle était mon îlot, un but de promenade dans mes errances. La fin de notre histoire m’avait ramenée vers cet abri. En te proposant cet endroit insolite je voulais un peu t’attendrir, te montrer où tu m’obligeais à retourner… dans cette vie d’avant toi.
Je suis arrivée la première. Mon antre était niché en hauteur. De là, je dominais la ville où j’imaginais la vie d’autrui, où je balayais les saisons, où je contemplais le ciel et ses caprices. J’ai observé tes manœuvres lorsque tu as garé ta voiture. J’ai crié ton prénom lorsque tu en es sorti, pour t’indiquer où j’étais. Tu as répondu par un léger signe de la main et tu t’es engouffré dans l’escalier qui te menait jusqu’à moi. Assise en tailleur sur le sol, je t’ai accueilli dans un silence religieux. J’ai tout de suite perçu ton malaise. Etait-ce à cause de moi ou de cet environnement particulier ? D’un coup, je te voyais sous un nouveau jour, et là, très calmement, je t’ai demandé « Pourquoi ? ».
Je n’ai pas beaucoup apprécié lorsque tu m’as traitée de possessive et de jalouse. Ces sentiments ne sont-ils pas viscéralement liés à l’état amoureux ? Tu étouffais avec moi, avais-tu poursuivi. J’ai vite compris que tu te cachais derrière de faux prétextes et en grattant ce vernis de reproches, j’ai su que ton cœur avait été emporté ailleurs : elle était là la vraie raison !
Je me suis enfin levée. Devant mon air peu engageant tu as reculé. Je savais où je te menais, toi tu l’ignorais…
En t’écrivant cette lettre mon cœur saigne, mais tu l’avais tellement meurtri auparavant que je préfère qu’il en soit ainsi. Au moins maintenant, tu es à moi pour toujours.
Je savais qu’à cet endroit-là le plancher n’était pas fiable…
Les gendarmes ont très vite conclu à l’accident. Dorénavant cette usine désaffectée sera interdite d’accès sous peine d’amende.
Tout à l’heure, j’assisterai à la mise en bière et, au moment du dernier adieu, je glisserai cette lettre à tes côtés…
Pour l’éternité,
Anna
Nouvelle © Marie-Laure Bigand
4 commentaires:
Avec beaucoup de retard mais surtout avec beaucoup de plaisir je t'ai lu... et ton héroïne se nomme Anna... et ça résonne beaucoup en moi... et j'ai adoré te lire.
Merci pour ce texte Marie-Laure, il est beau. Tout simplement.
Merci Nath :-)
Une nouvelle bien écrite. Bravo !
Il me semble que je connaissais déjà ce texte.
Je t'embrasse.
V. Gabralga
Merci Philippe :-)
J'ai écrit cette nouvelle il y a déjà un petit moment de cela en effet, et je l'ai retrouvée dans mon ordinateur le week-end dernier, donc autant qu'elle vive à travers les lecteurs qui passent par là :-))
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