Rouge à lèvres

La tasse vide a gardé l’empreinte de son rouge à lèvres.

Sa bouche se dessine devant ses yeux gênés. D’un doigt maladroit elle tente de l’enlever, mais ne fait que la répandre un peu plus, apportant davantage à sa confusion.

Non loin de là il l’observe, amusé. Pour lui, il n’y a rien de plus sensuel que la forme d’une bouche féminine abandonnée au coin d’un verre, d’un bol, ou d’une tasse.

Il aime à imaginer quelle femme se cache derrière ces traces éphémères.

Lorsqu’il entre dans un café, il parcourt d’un regard les tables non desservies, à la recherche de coins de lèvres oubliés.

En s’attablant il n’a pas remarqué la jeune femme à ses côtés. C’est lorsque la tasse et la soucoupe s’entrechoquent, qu’il lève les yeux et assiste à sa tentative d’ôter le rouge à lèvres.

Il n’ose la dévisager… la peur d’être déçu.

Il la veut belle et gracieuse afin de lui pardonner son geste égoïste.

Bientôt sa silhouette se profile dans l’encadrement de la porte.

Tellement absorbé dans ses pensées, il n’a pas vu qu’elle partait.

Son regard aperçoit un téléphone portable, sur la banquette, là où elle était assise. Il ne peut être que le sien, tombé d’une poche ou d’un sac à mains.

Il dépose l’argent de sa consommation sur la table et se précipite à sa suite.

Sur le trottoir aucune silhouette ne ressemble à la sienne.

Il est alors ennuyé de détenir cet objet entre ses mains.

Il  s’apprête à retourner dans le café pour y confier le portable, quand il la voit devant lui, un sourire sur son beau visage, si lumineux, qu’il donne au gris du ciel une impression de beau temps.

—    Oh, merci, j’ai eu si peur de le perdre, c’est qu’il y a toute ma vie à l’intérieur !

Elle le remercie chaleureusement et disparaît aussi soudainement qu’elle est apparue.

Il est certain d’avoir vu un ange et il sait que, désormais, dans chaque trace de rouge à lèvres, c’est son sourire à elle qu’il verra.

Texte © Marie-Laure Bigand